31 ans après, où en sommes-nous ? - Entrevue avec Natacha Warin

PAR Julie Nguyen

2020-12-06
PreviousNext

Dans cet article, je vous présente Natacha Warin, étudiante en Maîtrise de Gestion de projets d’ingénierie à l’ÉTS. Natacha est née et a grandi à Montréal. Avant son parcours à l’ÉTS, elle a complété des études au Baccalauréat en Génie Industriel à l’École Polytechnique de Montréal. Vous l’avez peut-être déjà rencontré à l’ÉTS, car c’est une personne très sociable et ouverte aux autres. Elle aime passer du temps à l’Université autant pour étudier que pour s’impliquer aux activités parascolaires. 

Aujourd’hui, je vous présente un entretien que j’ai eu avec Natacha concernant son parcours et ses opinions dans le domaine du génie.

JN : Quand as-tu entendu parler du génie pour la première fois?

NW : L’ingénierie a toujours été un domaine que je connaissais vaguement pour des raisons familiales. J’ai eu le bonheur d’avoir eu un grand-père ingénieur dans le domaine de l’aviation, qui a gardé jusqu’à ses derniers jours une renommée au sein de Airbus. C’est donc grâce à lui que la profession m’a été initialement présentée.

De manière plus concrète, ma redécouverte de l’ingénierie s’est passée lors de ma participation à un camp d’orientation à l’Université de Montréal. Dans ce cadre, nous avons visité Polytechnique et avons pu nous faire expliquer plus spécifiquement les formations offertes pour devenir ingénieur.e.

JN : Qu’est-ce qui t’as motivé à choisir ce domaine d’étude?

NW : Mes motivations n’étaient peut-être pas très marquées initialement. Dans mes choix d’orientations, je savais exactement ce que je ne voulais pas faire. La partie difficile était de déterminer ce que je voulais étudier. L’aspect technique de l’ingénierie m’effrayait, n’étant pas une personne très manuelle, mais la présentation du génie industriel dans le cadre d’une journée carrière à mon école m’a permise de démystifier ce qu’était le génie industriel.

Le travail avec les autres, l’amélioration continuelle de la manière de faire, l’objectif d’adapter les méthodes de faire pour atteindre certains résultats… ce sont ces éléments qui m’ont poussé à aller vers ce domaine. Par ailleurs, je tiens à spécifier que, dans mon cas, je ne crois pas avoir choisi le domaine de l’ingénierie, mais bien celui du génie industriel. Sans cette formation, je ne serais probablement pas allée étudier en ingénierie.

JN : Avais-tu entendu parler du drame à la Polytechnique avant de commencer tes études en génie à cette université?

NW : Absolument. C’est un drame dont j’avais entendu parler, ayant malheureusement marqué notre histoire. J’ai, cependant, réellement compris l’ampleur de ce drame dans le cadre de mon cours de cinéma au niveau collégial. Dans ce cours, nous avons étudié dans l’entièreté le film Polytechnique, et c’est à travers cette étude cinématographique que j’ai pris conscience du déroulement de ce tragique événement.

JN : Quel était le pourcentage de filles dans ton domaine d’étude et à la Polytechnique durant ton passage?

En génie industriel à Polytechnique, on oublie les clichés de l’école d’ingénierie majoritairement masculine. Le programme de génie industriel est d’ailleurs réputé au sein de l’école pour être l’un des programmes avec le plus grand nombre de filles : ma promotion avait un ratio de 51% de filles. C’était donc facile d’oublier que dans l’école au complet, les filles représentaient environ 30% de la population étudiante. C’est à la cafétéria le midi, le matin en arrivant à « l’heure de pointe » ou encore pendant les événements sociaux que le peu de présence féminine se faisait ressentir davantage.

JN : Selon toi, quelle est la raison pour laquelle il n’y avait pas beaucoup de filles? Penses-tu que l’événement du 6 décembre 1989 fait partie des causes pour lesquelles c’est un domaine majoritairement masculin?

À mon avis, l’absence de filles dans l’ingénierie remonte à des préjugés sociaux qui sont profondément ancrés dans notre société et qui demandent beaucoup d’efforts à changer. Cette absence n’est pas relative uniquement à l’ingénierie, et dans certains domaines, ce sont les hommes qui sont moins présents. Cela montre, selon moi, qu’il reste encore du travail à faire en tant que société pour atteindre une « parité mentale ». Ce que je veux dire par là, c’est l’absence de préjugés vis-à-vis d’un domaine ou d’un travail et des personnes pouvant l’exercer.

L’événement du 6 décembre représente pour moi la conséquence d’une telle mentalité, et non une cause. Ce refus violent de laisser les femmes suivre une formation dans l’objectif de devenir des ingénieures, métier historiquement masculin, prouve la fermeture d’esprit par rapport à l’égalité homme-femme dans des domaines professionnels.

Cet événement a-t-il eu un impact sur le peu de présence féminine aujourd’hui? Peut-être bien. Ce drame a marqué l’histoire du Québec, et il est possible que cela ait eu un impact. Je ne pense pas que ça en soit la raison principale. Le faible pourcentage de femmes en ingénierie ailleurs dans le monde démontre qu’il y a un problème de société auquel on fait face.

JN : Selon toi, que crois-tu que la société a tiré des événements de 1989? Crois-tu que les femmes sont mieux accueillies dans le génie depuis? Et pourquoi?

NW : Je pense que cet événement a fait prendre conscience à la société de la gravité de la situation, surtout à l’encontre des femmes. Pour moi, ça a poussé les écoles d’ingénieurs à faire du recrutement spécifique orienté vers les femmes. Je trouve même que l’attitude à l’école des étudiants montre aussi une volonté d’incorporer les femmes, de valoriser leur présence.

JN : Trouves-tu qu’il y a une évolution dans le domaine depuis ta première année d’étude? 

NW : Une évolution, je pense que oui, mais je n’irai pas jusqu’à dire une évolution majeure. L’inclusivité dans mon entourage n’était pas autant un enjeu par rapport à ce que je sais du domaine du génie dans sa globalité. La volonté d’améliorer l’inclusivité est présente partout et se traduit par des objectifs clairs. Pour moi, l’évolution se fait progressivement.

Je ne sais pas s’il y a plus de femmes en génie en général, mais j’ai l’impression que celles que je vois sont à leur place, sont affirmées dans leur entourage et prouvent que ce domaine était le bon choix pour elles. Je dirai donc que l’évolution que l’on peut constater se situe plus dans l’ouverture d’esprit du domaine, avec la notion du besoin d’avoir plus de femmes en ingénierie.

JN : Pour terminer, que dirais-tu à une jeune fille qui est stressée à l’idée d’étudier dans une école avec une majorité de gars ?

NW : Ayant travaillé pour les portes ouvertes de Polytechnique et celles de l’ÉTS, j’ai eu, à quelques reprises, à répondre à cette question. Pour moi, l’expérience d’étudier dans une école ayant une majorité de gars m’a permise de m’affirmer et de grandir en tant que personne. Je m’explique! J’ai toujours été une fille qui avait des groupes d’amies, des « girls gangs ». Même à Polytechnique, mes amitiés les plus fortes que j’ai encore sont avec des filles. Avant mon bac, je n’avais jamais eu à côtoyer autant de gars. C’est diversifiant de se retrouver à développer des amitiés avec des personnes différentes de celles qu’on a l’habitude de développer.

C’est ici que se termine l’entretien que j’ai eu avec Natacha concernant son parcours et ses opinions dans le domaine du génie. Le 6 décembre représente aujourd’hui, la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes.

Depuis plus de 30 ans, nous nous souvenons.

  • Geneviève Bergeron

  • Hélène Colgan

  • Nathalie Croteau

  • Barbara Daigneault

  • Anne-Marie Edward

  • Maud Haviernick

  • Maryse Laganière

  • Maryse Leclair

  • Anne-Marie Lemay

  • Sonia Pelletier

  • Michèle Richard

  • Annie St-Arneault

  • Annie Turcotte

  • Barbara Klucznik-Widajewicz