Génie de l'environnement : le profil inspirant de la professeure Annie Levasseur

PAR Elyse Boulanger

2021-04-22

Dans le cadre de la Journée de la Terre, les Ingénieuses vous présentent le profil inspirant de la professeure-chercheure de l’ÉTS Annie Levasseur, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mesure de l’impact des activités humaines. Au cours de cette entrevue, on s’est penché sur ses débuts en ingénierie jusqu’à ses activités de recherche actuelles et qu’est-ce que ça fait, un ingénieur dans son domaine, exactement?

Annie Levasseur est professeure à l’École de technologie supérieure depuis 2017 et y mène des activités de recherche dans le domaine de l’analyse de cycle de vie afin d’évaluer les impacts environnementaux des activités humaines, mais sa carrière a débuté dans un tout autre domaine. En effet, suite à l’obtention de son bac en génie chimique, orientation environnement, à Polytechnique, elle travaille dans une raffinerie de Montréal en tant qu’ingénieure de procédés. C’est à l’issue de cette période de 8 ans qu’elle décide d’entamer un doctorat afin de s’orienter concrètement vers le domaine de l’environnement.

Outre son rôle de professeure, elle a aussi les responsabilités suivantes :

  • Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la mesure de l’impact des activités humaines depuis septembre 2020. Les 2 grands axes de cette chaire de recherche sont la combinaison des modèles et l’amélioration des inventaires d’émissions de GES des villes.

  • Directrice scientifique du nouveau Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire.

  • Membre du Comité consultatif sur les changements climatiques du ministère de l’Environnement et de la Lutte (MELCC) contre les changements climatiques depuis 2021.

Pour commencer, pourquoi avez-vous choisi de quitter votre emploi en tant qu’ingénieure pour vous diriger vers le doctorat?

Après 8 ans comme ingénieure de procédés, j’ai décidé d’aller vers le doctorat. C’était quelque chose que je savais déjà que je voulais faire éventuellement. […] En raffinage, je m’occupais par exemple des opérations de traitement des eaux usées, mais je voulais faire quelque chose d’un peu plus proactif et l’enseignement était aussi quelque chose qui m’intéressait. La piqûre pour la recherche m’est venue pendant que je faisais mon doctorat.

Quels sont vos intérêts de recherche?

Pendant mon doctorat, l’analyse de cycle de vie, c’était le centre de ma recherche, mais avec le temps, je me suis mise à travailler sur l’aspect « changements climatiques » et développer des modèles. Par exemple, dans le secteur forestier, on sait que la forêt peut contribuer à lutter contre les changements climatiques, mais il y a plusieurs façons : on peut soit laisser la forêt à l’état naturel pour permettre le stockage de carbone ou l’exploiter pour fabriquer des produits du bois qui vont pouvoir remplacer d’autres matériaux qui émettent plus de GES comme le béton ou l’acier. Pour choisir la meilleure option, on peut donc combiner différents modèles afin de comparer les différentes stratégies.

Un autre des projets que je fais est de travailler à mieux représenter les émissions de GES sur le territoire d’une ville par rapport au transport et aux bâtiments pour aider à développer de meilleures stratégies. Au niveau du transport, ça peut être par exemple d’utiliser les données d’applications GPS pour mieux comprendre les déplacements et d’où viennent les émissions de GES.

Qu’est-ce que c’est exactement, le concept d’analyse de cycle de vie?

L’outil permet de s’assurer qu’on ne déplace pas les impacts. Souvent, quand on a l’impression qu’une chose est meilleure qu’une autre, on a 1 élément précis en tête. Par exemple, le sapin naturel, ça pousse dans la nature et c’est renouvelable, ce qui nous donne l’impression que c’est une meilleure option que celui qui est fait de plastique et d’acier. La grande force de l’ACV, c’est justement de les comparer de façon holistique donc en tenant compte de toutes les étapes et de tous les types d’impact. C’est là qu’on se rend compte du défaut du sapin naturel : il en faut un à chaque année qui doit également être transporté et qui consomme des pesticides et des fertilisants, contrairement au sapin artificiel qu’on peut garder plusieurs années. Lorsqu’on met tout ça dans la balance, on se rend compte que ce n’est pas nécessairement si gagnant. En regardant plusieurs catégories d’impact et tout le cycle de vie, ça nous permet de s’assurer qu’on ne crée pas de « fausse solution » en déplaçant les impacts.

Qu’est-ce que ça fait au quotidien une professeure en recherche?

Un des grands rôles des professeurs au niveau de la recherche est de développer des demandes de subvention et de trouver du financement pour être en mesure de financer la recherche. Typiquement, le rôle d’un prof est de développer les demandes de subvention et de superviser les étudiants des cycles supérieurs qui réalisent les travaux. Ce sont les étudiants qui font les manipulations, les expérimentations et développent les résultats et le professeur est là pour encadrer/superviser. Dans mon cas, c’est de la modélisation donc je m’assure que les étudiants développent les bons modèles et interprètent bien les résultats. La recherche, ça passe beaucoup par la rédaction d’articles donc le rôle du professeur est vraiment de superviser les étudiants.

Ensuite, c’est aussi le professeur qui va faire les démarches pour élaborer les partenariats avec les entreprises et en lien avec son expertise spécifique, le professeur peut aussi être appelé à faire partie d’un comité d’experts et d’agir lors de conférences publiques, par exemple.

Avez-vous toujours su que vous vouliez aller en génie et en environnement?

C’est vraiment depuis que j’étais très jeune que je savais que je voulais faire des sciences. Je ne savais pas ce qu’était le génie spécifiquement et je n’avais pas d’ingénieur autour de moi. Quand j’avais 13 ans ma tante a marié un ingénieur et c’est là que j’ai vraiment cliqué : j’ai vu qu’un ingénieur, ça applique la science et c’est là que j’ai compris que c’était ce que je voulais faire!

Pour l’environnement, c’est arrivé très vite au secondaire. J’y ai rapidement développé une sensibilité et je me suis dit que je voulais faire de la science qui aide l’environnement. J’ai été aux portes ouvertes de Polytechnique et j’ai vu que pour faire de l’environnement, j’avais le choix entre génie chimique ou génie civil.

Est-ce qu’il y a un mentor ou quelqu’un qui vous a influencée et de quelle façon?

Mon oncle, celui qui m’a fait découvrir le métier. Dans la vie de tous les jours, on rencontre des médecins et des enseignants, mais pas des ingénieurs! Les gens qu’on rencontre dans le cadre de leur profession, on voit bien ce qu’ils font, mais il y a plein de métiers dont les jeunes n’ont pas d’exemple s’ils n’en connaissent pas de proche.

Quel défi avez-vous rencontré au cours de votre carrière?

Quitter mon emploi stable pour commencer mon doctorat alors que j’avais déjà une famille et des enfants. Je souhaitais devenir prof et j’avais mon conjoint qui avait un emploi, mais je m’en allais tout de même vers quelque chose d’incertain.

Quels sont vos objectifs de carrière ou de recherche pour les années à venir?

Avec l’arrivée de la nouvelle chaire de recherche, ça va être de bâtir une petite équipe permanente (associé de recherche, post-doctorat) pour travailler avec moi en tout temps, ce qui fait que je vais pouvoir déléguer une partie de la tâche pour faire en sorte que la chaire grandisse.

Pour travailler en génie et en recherche, quelles sont les aptitudes à avoir selon vous?

Je dirais que la chose commune à tout ingénieur est le processus très rationnel de régler un problème. Aimer explorer un problème, en comprendre le fonctionnement et développer une solution est quelque chose d’assez essentiel. Il y a beaucoup de travail d’équipe en ingénierie donc de bonnes capacités de communication. Les ingénieurs qui travaillent toujours dans leur coin, c’est assez rare.

Pour terminer, avez-vous des conseils pour quelqu’un, particulièrement une jeune fille, qui hésite à se lancer dans des études en génie ou à poursuivre en recherche ?

Explorer le potentiel de ce que tu peux faire. Souvent, les filles vont être intéressées par l’impact social qu’elles peuvent avoir comme en environnement ou dans le domaine biomédical. Dans presque toutes les sphères du génie, tu peux te retrouver dans un emploi qui a de l’impact donc explorer l’impact que tu pourrais avoir. Il y a tellement de possibilités que si les sciences t’intéressent le moindrement, tu peux les appliquer de plusieurs façons pour avoir un impact dans le domaine qui t’intéresse.


Image : la professeure Annie Levasseur dans une illustration créée par Loogart https://loogart.com/