L'industrie du jeu vidéo vue par une femme

PAR Laurence Bilodeau

2021-04-14
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Si vous êtes familier avec l’ETS, il est probable que vous ayez entendu parler du Lan ETS. Si ce n’est pas le cas, laissez-moi vous présenter cet événement. C’est « le plus grand lan party au Canada », tel que le clame leur site internet. Organisé par le club étudiant éponyme, le Lan ETS se déroule sur une fin de semaine complète. Du vendredi au dimanche soir, des joueurs et des visiteurs s’y présentent afin de profiter des différentes activités offertes. Que ce soit en apportant son ordinateur pour jouer à des jeux vidéo, en participant à des tournois, aux concours divers ou simplement en allant comme spectateur, un gamer moyen peut facilement y trouver son compte d’agrément. Quant à moi, je m’y présente religieusement chaque année depuis mon admission à l’ETS, mais plutôt à titre de bénévole.

Depuis la création de la convention en 2002, la quantité de participants ne cesse de gonfler, suivant la tendance des e-sports. En effet, alors que le premier événement e-sport a eu lieu en 1972, la valeur de l’industrie en 2018 s’élevait à plus de 900 millions de dollars américains. Le terme e-sports fait spécifiquement référence aux compétitions de jeux vidéo. Quant à l'industrie des jeux vidéo au sens large, on parle d’une valeur de 60 milliards de dollars américains en 2020. Tout cela s’explique par la portée de ces jeux virtuels dont l’ampleur et la croissance sont résultat de sa grande accessibilité. Contrairement aux sports simples à pratiquer comme le soccer, le tennis et la natation, le gaming ne requiert pas de grande surface. Il peut aussi généralement être réalisé sur de l’équipement de base raisonnablement coûteux. Évidemment, comme dans tout secteur, les produits les plus performants sont disponibles à des prix exorbitants qui dépassent les capacités d’une personne moyenne.

Alors que beaucoup de gens s’imaginent un adolescent qui sort rarement de sa chambre et se douche peu lorsqu’on évoque un gamer, les statistiques permettent d’identifier une panoplie de profils qui diffèrent de cette image. Pour commencer en force le bris de ce stéréotype, 70% des gamers sont âgés de plus de 18 ans et environ 45% sont des femmes. Les deux types de jeu dont les femmes dominent largement la base de joueurs sont les « match 3 » ainsi que les simulations de famille ou de ferme. On compte parmi ces jeux le fameux Candy Crush Saga, les Sims et Hay Day.

Mon premier contact avec les jeux vidéo s'est fait vers mes huit ans avec deux consoles : un Gamecube et une PlayStation 2. Dance Dance Revolution, Shrek, Harry Potter et de la course automobile ont ponctué mon primaire malgré le sport compétitif auquel je m'acharnais plus de 20 heures par semaine. Au secondaire, j'ai adopté un mode de vie plus sédentaire par conflit d'horaire et j'ai rencontré des camarades de classe qui jouaient à League of Legends (LoL pour faire court) en 2012. Ces personnes sont devenues mes amis et m'ont initiée au gaming sur PC, mon vieil ordinateur portable qui, en fait, n'était pas très portable. C'est rapidement devenu mon activité sociale quotidienne : se connecter sur League of Legends en rentrant le soir, rejoindre l'appel Skype de mes amis, jouer quelques matchs, partir souper en s'assurant que l'hôte ne raccroche pas sinon l'appel fermait, puis revenir et jouer davantage. À cette époque, LoL en était à ses débuts, donc tout le monde était relativement au même niveau d'apprentissage. Éventuellement, je me suis acheté un ordinateur plus performant et j'ai adopté d'autre jeux de types différents, notamment Counter-Strike: Global Offensive. C'est en jouant à CS:GO que j'ai commencé à voir plus clairement la discrimination faite aux femmes au sein des jeux vidéo. La présence de communication vocale y facilite l'identification du genre des joueurs, contrairement à League of Legends où il n'y avait qu'un clavardage textuel jusqu'en 2018. J'en ai entendu de toutes sortes : des commentaires concernant la cuisine, des insultes à l'état pur sans raison et même des approches plutôt inappropriées. À la longue, je dois avouer que j'ai fini par modifier ma voix inconsciemment en parlant sur le jeu ou simplement communiquer par écrit. Cela ne m'atteint plus depuis longtemps, en fait j'y étais rendue insensible jusqu'à tout dernièrement. Une de mes amies de l'ETS a commencé à jouer avec nous à LoL et son compte a un pseudonyme qui s'associe au genre féminin. Tout comme moi, elle s'est fait harceler.

Après une joute spécifique où elle a reçu des commentaires désobligeants, elle a utilisé la merveilleuse fonction « signaler ». Cela envoie une requête au département de support de la compagnie, qui révise ensuite les actions posées par le joueur signalé. Dans ce cas-ci, les messages ont été jugés inappropriés et le joueur s'est fait bannir son compte indéfiniment. Après avoir entendu cette histoire racontée comme une anecdote, quelque chose de comique, j'ai réalisé à quel point c'est normalisé et c'est absolument outrant! Pour commencer, je dois arrêter de trouver ça banal et je dois dénoncer. Ensuite, il faut sensibiliser tout un chacun. Le parallèle entre les situations vécues par les femmes en ingénierie et dans le monde des jeux vidéo à prédominance masculine se fait facilement. Nous devons poser des actions pour cesser d'être sous-représentées, pour faire valoir notre opinion qui est parfois écartée machinalement, pour normaliser notre présence dans le domaine qui nous passionne.